Préposé aux bénéficiaires, une profession qui souffre
- Mélodie Maxwell
- Dec 18, 2019
- 7 min read
Updated: Dec 19, 2019
Des préposés aux bénéficiaires au Centre d'accueil Champlain. Photos : Mélodie Maxwell
Les yeux, les mains et les bras des aînés qui vivent dans des résidences pour personnes âgées sont insuffisants en Ontario. L’Association des soins de longue durée de l’Ontario (OLTCA) annonce qu’il y a présentement une pénurie de main-d’œuvre de préposés aux bénéficiaires. Ce manque est problématique et a de nombreux impacts non seulement sur les résidents et la communauté aînée, mais aussi sur les employés. Les résidences de soins de longue durée doivent donc faire face à plusieurs défis pour combler le besoin de main d’oeuvre.
La pénurie de préposés aux bénéficiaires se manifeste dans diverses résidences de soins de longue durée à Ottawa. Effectivement, Yves Bahizi, gestionnaire des soins de la résidence Gary J. Armstrong, affirme que « c’est un travail très important, mais pas du tout facile ». Cela dit, les foyers doivent désormais prendre soin de leurs résidents malgré la pénurie de main-d’œuvre. Dans un sondage réalisé en 2018 par le OLTCA auprès des résidences de soins de longue durée, « 80% des participants ont dit qu’ils avaient de la difficulté à remplir des quarts de travail, et 90% éprouvent des difficultés à embaucher du personnel ».
Cet enjeu de taille n’est pas simple à résoudre. Afin d’améliorer les soins administrés aux aînés et le travail de préposé aux bénéficiaires, les résidences tentent d’enrayer cette pénurie qui perdure possible.
La question se pose : pourquoi cette pénurie ?
Alors que les préposées aux bénéficiaires se font rares, les tâches à accomplir en résidence sont de plus en plus exigeantes car il manque de personnes sur le terrain pour les réaliser. Cet emploi consiste à aider les résidents dans leurs routines quotidiennes en matière de toilettage, de leur offrir une assistance physique et de leur tenir compagnie tout en gardant un œil sur leurs conditions de santé. Maintenant, en multipliant ces tâches avec plus de 10 aînés, cela alourdit les quarts de travail des préposés qui, dans le cadre de cette pénurie, ont de la difficulté à offrir des soins adéquats à tous les résidents.
La charge de travail qui paraît non attrayante peut expliquer le manque d'intérêt envers cette profession dans le domaine de la santé. Comme l’indique Josée Potvin-Ouellette, la directrice de soins du Centre d’accueil Roger-Séguin, « c’est un travail difficile qui demande beaucoup, ils sont vraiment là pour les résidents ».
Le salaire, un facteur qui peut décourager
Graphique 1: Salaires des préposés aux bénéficiaires en Ontario
Pour les préposés aux bénéficiaires, le salaire est une contrainte et décourage les aspirants à se lancer dans la profession. Par exemple. le salaire médian à Ottawa est de 20 $/h (voir graphique 1), celui-ci est seulement 6 $ plus haut que le salaire minimum. Ce salaire est relativement bas pour une carrière dans le domaine des soins de santé qui nécessite des études postsecondaires. Ce montant est loin d’attirer la main-d’œuvre vers cette profession, qui est pourtant essentielle à la population aînée. En ce qui touche les salaires les plus bas en Ontario, certaines régions se situent très près du salaire minimum, variant de 14,50 $/h à 17,75 $/h.
Afin de remédier à la pénurie de préposés aux bénéficiaires dans les résidences de soins de longues durées, l’OLTCA réclame l’élaboration d’une stratégie provinciale. Cette stratégie inclut une augmentation du financement de la part du gouvernement provincial afin de pouvoir engager plus de personnel qualifié dans les foyers et ainsi répondre à tous les besoins des résidents : « Long-term care homes need government support in areas such as grants to reduce tuition, rural and northern training programs, international recruitment, and a campaign to promote working in long-term care as a meaningful career choice for young Canadians ».
« Le salaire minimum, ce n’est pas la façon d’inciter les gens à travailler » — Yves Bahizi, Gestionnaire de soins de la résidence de soins de longue durée Gary J. Armstrong
Dans ce domaine, il n’y a pas un salaire identique. Tout dépend du type de résidence pour personnes âgées. Notamment, les résidences qui sont affiliées avec la ville d’Ottawa ont de plus hauts salaires que celles qui sont indépendantes ou privées, puisque le budget donné par le gouvernement provincial est différent. Par exemple, au Centre d’accueil Champlain, une résidence de soins de longue durée, le salaire des préposés aux bénéficiaires commence à 24,75 $/h et peut monter jusqu’à 30,00 $/h. Ce sont des salaires plus encourageants qui s’éloignent du salaire médian de 20,00 $/h de la province. Du côté du Centre d’accueil Roger-Séguin, une résidence de soins de longue durée indépendante à but non lucratif, le salaire le plus bas est de 20,79 $/h et le plus haut est d’environ 23,50 $/h. De l’autre côté, chez la résidence de soins de longue durée Montfort, une résidence privée de Rivera, le salaire horaire varie entre 19,90 $ et 20,30 $.
Ces faibles salaires font en sorte que les préposés aux bénéficiaires doivent parfois avoir 2 emplois afin de subvenir à leurs besoins ainsi qu’à ceux de leur famille. Effectivement, Denis Comeau, préposé aux bénéficiaires depuis 19 ans au Centre d’accueil Champlain, affirme qu’au début de sa carrière avant d’avoir un poste à temps plein, « [il] avai[t] 3 emplois, car c’était au salaire minimum ». De même, dans le Recensement de la population 2016, Statistique Canada indique que le revenu d’emploi moyen en 2015 à Ottawa des préposés aux bénéficiaires était de 33 626 $. Cela dit, cette profession nécessite plus d’attention de la part du gouvernement afin de hausser les salaires et encourager la main d’œuvre.
Une profession non protégée
Contrairement aux infirmiers, les préposés aux bénéficiaires n’ont pas d’ordre professionnel qui les représente. Alors, la profession ne possède pas d’organisme qui veille au bien-être des employés. La profession de préposé aux bénéficiaires ne bénéficie pas de cette sécurité-emploi, et n’est donc pas appuyée par une fédération.
Denise Cyr, gestionnaire des soins au Centre d’accueil Champlain, mentionne qu’un registre des préposés aux bénéficiaires fut récemment créé, mais n’est pas encore mandaté. Selon elle, le gouvernement de l’Ontario a besoin de continuer de faire des efforts pour tenter de renforcer la protection de cette profession qui est tant essentielle à la vie des aînés.
« Les préposés doivent avoir un ordre, ça doit être une profession plus protégée pour que les gens se sentent fiers de faire ce travail. On en aura besoin ! » — Yves Bahizi, Gestionnaire des soins de la résidence Gary J. Armstrong
Un remède complexe : le recrutement
Pour essayer de lutter contre un problème de pénurie de main-d’œuvre, la solution idéale est de simplement embaucher du personnel. Par contre, du côté des préposés aux bénéficiaires, la pénurie se manifeste différemment. Malgré le manque de préposés en Ontario, dans les résidences de soins de longue durée à Ottawa, la problématique prend un autre angle. Souvent, il s’agit plutôt d’un manque de postes. Que ce soit une résidence avec la ville, indépendante, à but non lucratif ou privée, la situation ne change pas.
La rareté des postes à temps plein
À Ottawa, les préposés aux bénéficiaires n’ont pas une grande liberté de choix dans leurs emplois. Dans la majorité des cas, il y a très peu de postes de préposés aux bénéficiaires à temps partiel et à temps plein parce que ceux-ci sont offerts à l’intérieur du bassin d’employés de chaque résidence. Étant donné que les postes permanents sont déjà tous remplis, il y a seulement des postes occasionnels offerts, soit sur appel. Une des seules façons d’obtenir un poste permanent est de travailler comme employé occasionnel jusqu’à ce qu’un poste à temps plein se libère. L’absence de postes s’explique majoritairement par le processus d’embauche à l’interne. À la suite du recrutement, il reste des postes occasionnels. C’est là où les problèmes de recrutement entrent en jeu.
Tout s’écroule lors des imprévus
Les préposés aux bénéficiaires qui ont seulement des postes sur appel sont presque obligés de se trouver un deuxième emploi afin de faire un revenu suffisant. Comme l’affirme Josée Potvin-Ouellette, Directrice des soins infirmiers au Centre d’accueil Roger-Séguin, « plusieurs ont des emplois ailleurs, car il n’y a pas de temps plein ».
Selon elle, ces circonstances courantes jettent alors les résidences de soins de longue durée dans le pétrin. Lorsqu’un préposé appelle malade, le coordonnateur du personnel doit trouver un remplacement. Toutefois, la majorité des préposés sur appel ont déjà un quart de travail à leur second emploi et ne peuvent donc pas se libérer.
Dans l’extrait audio ci-dessous, Yves Bahizi, gestionnaire des soins de la résidence Gary J. Armstrong, explique la situation problématique d’avoir assez de préposés aux bénéficiaires avec peu de disponibilité.
Préposés débordés de soins
C’est lors des imprévus que les conditions de travail ne s’améliorent pas pour le personnel de soins. Lorsque des résidences ne sont pas capables de trouver un remplacement, les préposés aux bénéficiaires doivent faire des heures supplémentaires. Si ce n’est pas une option, les résidences doivent se débrouiller et continuer de fonctionner à court de personnel.
« On travaille souvent en sur temps ou à court de préposés, ça arrive » — Josée Potvin-Ouellette, Directrice des soins infirmiers au Centre d’accueil Roger-Séguin
Les préposés aux bénéficiaires, responsables de 10 à 15 résidents en moyenne, deviennent complètement débordés lorsque leur équipe diminue. Cela rend leurs quarts de travail beaucoup plus occupés. En conséquence, ils n’ont pas toujours le temps de répondre aux cloches d’appels des résidents. D’ailleurs, Isabel Fernandes, la fille d’un ancien résident au Centre d’accueil Champlain, témoigne que « le temps d’attente après avoir sonné la cloche était plus de 15 minutes ».
Au-delà des imprévus, les résidences de soins de longue durée devraient augmenter le montant de postes de préposés aux bénéficiaires. Comme le mentionne Denis Comeau, préposé aux bénéficiaires au Centre d’accueil Champlain, « les résidents ne sont pas des résidents pour le ministère de la Santé, ce sont des points ». Il est donc nécessaire que le Ministère de la Santé et de soins de longue durée commence à évaluer la situation de plus près.
« Avoir plus de temps avec les résidents, prendre plus de temps pour jaser, de les minoucher, on n’a pas le temps. C’est toujours go go go » - Micheline Dallaire, préposée aux bénéficiaires au Centre d’accueil Roger-Séguin
L’avenir se tient dans les mains du gouvernement
Compte tenu de la pénurie de main-d’œuvre, la situation de préposés aux bénéficiaires dans les résidences de soins de longue durée a touché les limites. Selon Denise Cyr, gestionnaire des soins au Centre d’accueil Champlain, le gouvernement de l’Ontario doit s’empresser d’intervenir. Elle mentionne que « la clientèle devient de plus en plus lourde » avec une augmentation des maladies de démence, transformant les résidences en « mini hôpital psychiatrique ». Pour bien répondre aux besoins des aînés, les foyers ont besoin d’offrir plus de positions aux préposés aux bénéficiaires. C’est avec un meilleur financement de la part du gouvernement de l’Ontario que l’avenir des aînés s’annonce prometteur.
Dans l’extrait audio ci-dessous, Denise Cyr partage ses opinions sur les besoins des résidences face au vieillissement de la population.
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